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Val en poésie
14 janvier 2023

La disparition par Hélène Lahille, 2ème prix

 

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 Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ; adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! Ces deux vers me reviennent tandis que je déambule au gré du vent d’automne dans les rues de mon quartier. J’apprécie la chaleur de cette lumière tamisée annonçant le changement de saison. Les grues ne sont pas encore passées, nous avons quelques jours de répit. Je me dirige d’un pas nonchalant vers l’école de mon fils afin de profiter des dernières heures de soleil avec lui. J’ai décidé pour une fois de prendre le temps, de savourer l’instant et de laisser de côté cette vie frénétique qui nous persécute. Je ralentis mon pas pour mieux observer mes congénères. Un couple en terrasse ne sait manifestement plus quoi se dire depuis un bon moment, peut-être même des années. Deux mamies assises sur un banc tiennent des propos enjoués bien qu’un peu décousus. Les journées rafraîchissent. Il lui a mis une gifle ? Je ne suis pas étonnée ! Mais si je t’assure que je les ai entendues passer, le froid arrive. Tu as bien fait de les appeler, j’espère qu’ils vont le coffrer ce voyou ! Je ne peux m’empêcher de sourire en passant devant elles et de leur porter de l’affection, comme à de vieilles amies d’une autre époque qu’une faille temporelle aurait remises sur ma route. Je les aurai bien serrées dans mes bras mais elles n’auraient pas compris, et moi non plus d’ailleurs.

 

Les cloches du quartier sonnent quatre coups. J’accélère le pas pour ne pas faire attendre Marius. Je ne voudrais pas qu’il s’inquiète. Son père est parti en voyage et n’a pas donné de nouvelle depuis hier soir. Rien d’alarmant, il doit être entre deux avions ou deux réunions mais Marius est toujours plus nerveux lorsqu’il est absent. Il quitte son habit d’enfant, prend celui de l’homme de la maison et mime à la perfection le rôle de chef de famille. Il devient plus sérieux, me questionne sur les tâches de la journée, anticipe nos besoins, au point que je perçois même parfois quelques rides d’expression se creuser entre ses deux yeux ou à la commissure des lèvres. Je ne peux alors contenir mon fou rire et le câliner à l’étouffer pour qu’il redevienne mon petit Marius.

 

Je l’aperçois au fond de la cour, son cartable dépassant de ses frêles épaules. Il a l’air dans ses pensées, ailleurs. Je l’interpelle mais il ne m’entend pas. Il continue d’avancer parmi ses camarades, moi je ne vois que lui. Je détaille son visage, sa démarche, son allure, à n’en pas douter il est bien le fils de son père. Plus il grandit, plus la ressemblance est frappante. Je me sentirais presque une intruse si je ne l’avais pas senti grandir en moi puis passer au travers de mes entrailles.

 

A son arrivée, je lui évite les effusions gênantes devant ses amis, le soulage de son sac et nous partons en direction du parc. Depuis qu’il est entré en classe préparatoire, nous avons notre petit rituel. Quand je peux venir le chercher tôt, nous nous arrêtons au marchand de gaufres et il me déchiffre la carte. Sucre. Beurre sucre. Chocolat. Chocolat chantilly. Caramel au beurre salé… Quand il en arrive à cette ligne, il me jette un regard complice avec un sourire en coin et nous crions en même temps Deux au caramel beurre salé, deux ! Puis nous dégustons avec délice nos gaufres sur un banc avant qu’il n’aille se défouler aux jeux. Je le regarde alors s’amuser en me disant qu’il aurait mérité un petit frère ou une petite sœur. J’aurais aimé lui offrir cette joie mais mon corps n’était manifestement pas du même avis. Alors j’ai compensé, autant que j’ai pu. Peut-être en ai-je fait un enfant roi, qui sait. Je n’ai jamais su doser l’amour. Le peut-on seulement.

 

J’attrape mon téléphone dans l’espoir d’avoir un message de son père, ou un appel manqué, mais rien. Toujours rien. Je n’aime pas m’inquiéter sans raison mais il ne supporte pas d’être harcelé, comme il dit. Alors je vais attendre. Comme toujours. Je prends mon livre et me délecte par avance de pouvoir le poursuivre. La nuit des temps de Barjavel. Si j’avais eu une fille, pour sûr elle se serait appelée Eléa. Alors que je termine un chapitre et que je médite sur les dernières phrases, j’ai comme un pressentiment. Je cherche Marius des yeux mais ne le vois plus au niveau des balançoires. Je me lève du banc, m’approche des toboggans, toujours pas de Marius. J’accélère le pas et m’approche de la mare aux canards, là où il aime leur jeter quelques miettes de pain qu’il garde pour eux au fond de sa poche. Personne. Mon cœur se soulève dans la poitrine et je commence à avoir du mal à respirer. Je tourne sur moi-même en essayant de balayer large mais des larmes commencent à embuer ma vision. Je voudrais hurler mais me contiens en me persuadant qu’il est là tout près mais que je ne l’ai pas vu. Alors je tourne, autour des bancs, des bosquets, des arbres. Ma voix se fait tremblotante et plus aiguë. Mon pas s’accélère, je trottine puis cours par tous les chemins. Des têtes se retournent à mon passage, questionnent. Que lui arrive-t-il ? Personne n’a l’air de vouloir m’aider spontanément alors j’interpelle un couple de petits vieux qui avance avec peine à l’aide de leurs déambulateurs. Auriez-vous aperçu un petit garçon ? Brun ? De cette taille environ et avec un jean bleu et un pull noir serti d’un dinosaure ? Quel dinosaure ? Je n’en sais rien, le tyrannosaure ou celui avec un long coup je ne sais plus… Alors ? Le couple se redresse légèrement, tente de regarder autour d’eux malgréune courbure de dos handicapante, puis se regarde à nouveau, hausse les épaules et secoue la tête d’un air désolé. Je ne vois plus aucun enfant autour de moi et constate avec effroi que la nuit commence à tomber. Le cartable de Marius et son manteau sont restés sur le banc. Il va avoir froid, doit être apeuré. Je sors mon portable et essaie d’appeler son père, encore une fois, il aura peut-être une bonne idée ou sera paniqué lui aussi mais peu importe, j’ai besoin de partager mon angoisse ici et maintenant avant de devenir folle. Une sonnerie. Deux sonneries. Trois sonneries. Je raccroche avant de tomber sur le message du répondeur qui m’horripile. Comment peut-on être injoignable quand son propre fils a disparu ?Il devrait sentir sa détresse et la mienne, répondre dans la seconde et me dire que tout va s’arranger. Qu’il est sans doute parti avec un copain un peu plus loin ou aller voir le marchand de gaufres pour négocier un bonbon. Le marchand de gaufres !! Mais pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt !

 

Rassurée à l’idée qu’il puisse l’avoir rejoint, je sèche mes larmes, retrouve un peu de contenance et me dirige à grands pas vers son camion ambulant. En arrivant à l’entrée du parc où il stationne habituellement je me rends compte qu’il n’est plus là. Il est parti. Envolé. Tout est sombre et désaffecté. Mes jambes flanchent et je me retrouve accroupie, incapable de me mouvoir. Marius a-t-il été kidnappé ? Vais-je le retrouver demain dans la colonne des faits divers ? C’est impossible, c’est un cauchemar ! Au secours ! Un petit cri s’échappe de ma gorge étranglée mais ne porte pas bien loin. S’il vous plaît, aidez-moi. Si j’avais été croyante, j’aurais prié tous les saints mais même à ça je n’y connais rien.

 

Soudain, je sens deux mains fortes m’attraper sous les épaules et me relever. Deux hommes sont maintenant face à moi et me demande ce qu’il se passe. Ils portent un uniforme et ont un regard attentif. Je leur explique que j’ai perdu mon fils, Marius, qu’il a à peine six ans et qu’il a peut-être été enlevé par le marchand de gaufres. Ou un autre pervers qui passait par là. Dans tous les cas, il ne survivra pas à une nuit dehors tout seul. Et je n’arrive pas à joindre son père, parti en voyage professionnel et injoignable depuis la veille. Vous avez l’air désorientée, me répondent-ils. Comment ne pas l’être ! Ils n’ont pas d’enfant eux, ce n’est pas possible ! Bougez-vous les gars, lancez l’alerte auprès de tous vos collègues, que toutes les voitures disponibles cherchent mon petit garçon ! Mon seul et unique petit garçon ! Les deux hommes m’empoignent et m’enjoignent de me calmer en m’asseyant sur un banc. L’un d’eux me propose un cachet, un calmant. Je suis très surprise mais leur étreinte est forte et le ton sans équivoque. A bout de force, j’obéis dans l’espoir qu’ils me prennent ensuite au sérieux. Votre fils va bien, me susurrent-ils dans le creux de l’oreille tandis que je sens mes muscles se relâcher sous l’effet de la pilule magique, il viendra vous voir ce week-end. Comment cela ce week-end ? Mais nous ne sommes que jeudi ! Il ne peut pas rester dehors tout ce temps… J’essaie de remettre de l’ordre dans mes idées mais je n’y vois toujours pas clair. Est-il avec son père ? Comme si les deux compères pouvaient lire dans mes pensées, ils poursuivent. Votre fils Marius viendra vous voir avec ses enfants. Quant à votre mari, Cécile, il est décédé il y a maintenant deux ans, vous souvenez-vous ? Il ne peut donc plus répondre au téléphone. L’annonce du répondeur me revient alors en mémoire. Ce numéro n’est plus attribué, veuillez raccrocher. Je hoche la tête en sentant des larmes ruisseler le long de mes joues creuses.

Comment vous sentez-vous maintenant Cécile ? A leur voix douce se mêlent ces quelques vers qui résonnent comme une litanie. Mon esprit est pareil à la tour qui succombe,
sous les coups du bélier infatigable et lourd.
De qui est-ce donc ?

Comment vous sentez-vous ? insistent-ils. Je m’entends leur répondre d’une voix emplie de nostalgie :

Comme ma mémoire… éphémère.

 

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Commentaires
N
Ce texte m'a beaucoup plu. On attend avec impatience la fin dont on ne s'attend pas. Bravo.
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