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Val en poésie
31 mai 2021

Le divorce par Annie Leroy

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Bien que la soirée fût assez avancée, je ne trouvai pas, de suite, le sommeil. J’allumai la lampe du salon, tout en me versant un dernier verre. Excité, je tournai et virai sans cesse entre canapé et fauteuils, me remémorant les paroles de cette canaille d’avoué : « Pourquoi diable ne vois-tu pas ça pour toi-même ? »

A vrai dire, deux millions cinq cent mille francs, ça me faisait réfléchir ! Sans vouloir me vanter, je me sentais être « l’homme honorable » que cette demoiselle jolie, bien élevée, recherchait. Sur cette pensée, je gagnai ma chambre pour un repos bien mérité. Bien mérité, certes, mais pas acquis, du reste, tant je brûlais de passer à la phase active d’un projet matrimonial de bon aloi.

Je me levai d’un bond, fit une rapide toilette, et, le cœur léger, je m’installai à ma table de travail, dans l’intention de mettre tout en œuvre pour rencontrer cette merveilleuse créature. Très vite, je me mis en quête, trouvai son numéro de téléphone et lui proposai de la retrouver au Grand Café, le Q.G. de la communauté intellectuelle, mais bien-pensante, de la ville. J’arrivai en avance et, pour tuer le temps et mon impatience, j’entrepris la lecture du quotidien local.

Enfin, entra une assez jeune personne, vêtue d’un tailleur beige, gantée et chapeautée avec soin. Emu, un frisson me parcourut l’échine : « c’est elle, me dis-je ! »

« Bienvenue, Mademoiselle, je suis heureux de faire votre connaissance ! Je suis Monsieur BONTEMPS ».

« Julie DECOURT. Excusez mon retard, mais SCARON, mon petit yorkshire, était malade et j’ai dû attendre le vétérinaire, appelé de toute urgence. Dieu merci, il va mieux ! »

Je la rassurai aussitôt, déjà sous le charme de ses vêtements recherchés, d’une élégance raffinée, qui sentaient le parfum d’une situation financière bien assise. Elle n’était pas aussi jolie que le laissait entendre l’annonce, mais je croyais reconnaître, dans son maintien et ses propos, la bonne éducation signalée.

Je lui décrivis ma situation professionnelle, laissant un voile pudique flotter sur la fragilité de mon patrimoine et de mes avoirs, en enjolivant quelque peu – enfin, un peu plus – les espérances que ma maigre clientèle laissait entrevoir. Je l’invitai à déjeuner. Tant pis pour la dépense ! Nous décidâmes de nous revoir : promenades ; théâtre ; concerts ; courses hippiques ; séances de canotage… bref, les petits plats dans les grands, jusqu’au jour où nous décidâmes d’unir nos destins.

Hélas, elle exigea qu’un contrat de mariage en bonne et due forme soit rédigé, « en séparation de biens », naturellement. A cette occasion, j’ai dû dévoiler la triste réalité de ma situation de fortune.

« Ca ne fait rien, mon chéri, puisque, seule détentrice de ma fortune, je t’en ferai profiter, naturellement, dans notre vie personnelle. En revanche, tu demeureras responsable de l’évolution de ta position professionnelle ; dont nous partagerons, à partir de la date de notre mariage, les bénéfices éventuels, acquis. »

Je ne pouvais que souscrire à tout cela.

Nous eûmes une belle cérémonie. Un banquet sublime réunit familles et amis communs. Les Cyclades abritèrent notre lune de miel, dont le coût fut entièrement pris en charge par Julie.

Bientôt, s’instaura une nouvelle routine, un peu étouffante pour un vieux célibataire comme moi, mais tempérée par le confort de sa demeure où notre couple s’était naturellement installé. J’y construisis mon cocon, du reste !

Chaque matin, vers neuf heures, je gagnai mon étude. La nonchalance avec laquelle je traitai mes rares affaires ne lui laissait aucune chance de prospérer ! Que voulez-vous, j’étais logé, nourri gratuitement, blanchi au gré de quelques cadeaux par-ci, par-là… Pourquoi se démener ? Evidemment, chaque fin d’année, la vérité comptable s’imposait : l’étude, loin de réaliser des bénéfices, accusait des pertes de plus en plus importantes. Elle creusait sa tombe.

Soupçonnant mes préoccupations, Julie me fit, un jour, subir un interrogatoire serré, au cours duquel j’avouai l’origine de mes angoisses.

« Mais pourquoi ne pas m’en avoir parlé ? Enfin, Charles, il y une solution à tout ! Tu n’ignores pas qu’une gestion rigoureuse de mon patrimoine a su le faire fructifier de bonne manière ! Rencontrons, dès cet après-midi, mon avocat et voyons ce que nous pourrons faire ! »

Reconnaissant, je la remerciai de sa généreuse proposition et l’embrassai cent fois de bon cœur. Ah, je ne savais pas ce qui m’attendait !

Je dus répéter mon histoire devant Maître COULOMB, qui prenait notes sur notes. Il nous renvoya, après nous avoir fixé rendez-vous pour la semaine d’après, « le temps nécessaire – déclara-t-il – pour rédiger une convention de prêt, avec garanties ». J’étais apaisé, mais impatient d’en finir avec mes cauchemars.

Huit jours après, de nouveau réunis, Julie, moi-même et Maître COULOMB, ce dernier nous remit, à chacun, une liasse épaisse, détaillant l’arrangement qu’il avait imaginé, dans le strict et seul respect des intérêts de sa cliente (comme je m’en aperçus, hélas, trop tard…)

Je commençai à lire, lorsque l’avocat m’interrompit, en nous proposant – pour gagner du temps – de présenter et expliciter le document. J’écoutai distraitement, ma seule et fondamentale préoccupation étant de savoir comment serait renfloué le « trou » de l’étude. « Pas de problème ! » Madame Julie BONTRAN, née DECOURT, s’engageait à en équilibrer le résultat annuel, en y « injectant » régulièrement une somme substantielle, contre remise d’un nombre de parts de « capital » correspondant à la somme prêtée, parts qui me seraient restituées contre remboursement de la dette. Par ailleurs, une sorte « d’émolument » me serait versée pour assurer mes frais personnels de base : vêtements ; coiffeur ; soins de santé… ; les services indispensables.

Etourdi par le flot de commentaires, un interminable développement ; incapable de poser les questions les plus élémentaires, sous la pression du sourire insistant de ma femme, je paraphai toutes les pages et j’en signai la dernière, après y avoir ajouté : « lu et approuvé » ! C’était ni plus ni moins qu’une mise en esclavage à laquelle je consentais sans réserve… Et je n’en avais nullement conscience ! Au contraire, je me sentais soulagé ; d’humeur légère !

Alors, ma vie bascula. Ma femme, de partenaire à peu près égale, se changea en « supérieure », aux exigences inflexibles. La dureté de son caractère se révéla soudain, notamment chaque début de mois, lorsqu’elle me versait mon petit pécule. Son domestique : je devins son domestique, qu’elle voulait attentif à ses moindres désirs, à « ses ordres », formulés sans aucune courtoisie. J’étais devenu moins que son yorkshire, SCARON. Bafoué, roulé, humilié ; même devant mes amis.

Bien sûr, cette situation – qui se dégradait de jour en jour – laissait des traces dans tous les aspects de notre vie. Je n’avais plus goût aux ébats amoureux, tant les sentiments envers mon épouse avaient fuis, malgré les qualités que je lui avais prêtées auparavant. Plus de sexe, donc. Frustration et désir de vengeance de sa part !

Malheureux, je ressassais les causes de l’abîme dans lequel je m’enfonçais, me désolais et ne songeais pas, pour autant, à m’en sauver en réactivant le fonctionnement de mon étude. D’année en année, le déficit était compensé par Madame, par des sommes de plus en plus astronomiques, qu’il m’était impossible de rembourser. Tant et si bien, qu’avec le jeu des parts que je lui abandonnai, elle devint seule et unique « patronne » et qu’au cours d’une de nos nombreuses disputes, elle me chassa de mon étude, pour la confier à mon premier clerc, avec lequel (je l’appris, par la suite) elle avait noué depuis longtemps une relation adultère.

« Je te verserai, néanmoins, ton viatique mensuel » me jeta mon épouse. « Tu pourras, ainsi, à loisir, caresser ta paresse, comme d’habitude ! »

Deux années passèrent ainsi, au cours desquelles je remâchai mon amertume. Et aujourd’hui, je viens vous voir, car je veux divorcer.

« Pourquoi avoir attendu tout ce temps ? Que s’est-il passé pour que vous preniez cette soudaine décision ? »

« Elle est enceinte de mon rival – lui-même marié de son côté - et veut me faire endosser la paternité de son bâtard ! C’en est trop ; je n’en peux plus… »

Après de longues minutes de silence :

« Dites-moi : que pensez-vous de tout cela ? A votre avis, que dois-je faire ? »

« Reconnaître l’enfant et profiter des années de sécurité financière qu’il vous procure ! »

 

(Annie Leroy, le 20/05/2021)

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