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Val en poésie
31 mai 2021

La petite annonce par Sylvie Perlot

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« Ce jour-là, je dînais avec deux amis, un avoué et un filateur. Je ne sais comment la conversation vint à tomber sur les mariages, et je leur parlai, en riant, de la demoiselle aux deux millions cinq cent mille francs. Le filateur dit : « Qu’est-ce que c’est que ces femmes-là ? »

L’avoué plusieurs fois avait vu des mariages excellents conclus dans ces conditions et il donna des détails ; puis il ajouta, en se tournant vers moi : - Pourquoi diable ne vois-tu pas ça pour toi-même ? Cristi, ça t’en enlèverait des soucis, deux millions cinq cent mille franc.

Nous nous mîmes à rire tous les trois, et on parla d’autre chose.

Une heure plus tard je rentrai chez moi ». En refermant le livre de Guy de Maupassant, ma propre histoire m’est revenue en mémoire. Cette femme que j’avais rencontrée par hasard. Un peu plus âgée que moi, mais encore très séduisante, une créature de rêve. A l’époque, j’étais bien naïf. J’étais jeune, je me jetais dans la vie active, sans trop d’argent en poche. Elle me proposa sa dot, dix millions de francs, tout net. Mais, en contre-partie je devais l’épouser. Je trouvais la demande en mariage bien légère. Etait-elle sérieuse ? Non sans une certaine appréhension et peut-être par goût du jeu, j’acceptais le marché.

Les premiers temps furent heureux. Je m’étais fixé pour objectif de doubler la mise de sa dot par mon travail. Travail régulier, mais aux revenus très variables. Cela dura quelques années. La belle vit bien que les fonds ne grandissaient pas ou peu. Elle espérait que cela change avec le temps. Hélas, elle en fut pour ses frais. Alors, doucement, son caractère changea, elle devint plus canaille. Elle, si belle et si douce finit par se tourner vers d’autres hommes. Quand nous nous retrouvions entre amis, elle me déshonorait, me traînait plus bas que terre, je ne savais plus où me mettre, incapable de me défendre. Ne supportant plus l’humiliation, j’ai demandé le divorce, et le voulu rapide afin de me débarrasser de cette femme devenue odieuse.

Les femmes pour moi c’était fini!

Certes, je n’avais que 35 ans, à l’époque. Je pouvais refaire ma vie. Rien qu’à cette idée, un frisson me parcourait. Serais-je vraiment plus heureux dans les bras d’uneautre femme, même fortunée. L’argent ne fait pas tout, même s’il contribue à une vie meilleure. A dire vrai, je n’en avais pas trop envie. Je voulais profiter un peu de ma liberté, revoir quelques amis, me refaire une santé. Je n’avais pas trop d’argent, juste de quoi manger et payer ma chambre. Je continuais mon travail, tuant mon temps libre à réfléchir à mon avenir, ou à me balader dans la communauté des brocanteurs. Je n’achetais rien. Je regardais. Est-ce en me promenant parmi eux que je suis tombé malade ? Je toussais beaucoup. Après plusieurs jours de toux continue, j’ai consulté un médecin qui a accepté un paiement en plusieurs fois. Une fois remis sur pied, j’ai repris la lecture des journaux et retrouvais stupéfait la même annonce que six mois plus tôt. Etait-ce la même personne ? Une autre ? Le même message, mot pour mot. Je me décidais alors de la contacter. Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés sur un banc du parc Monceau.

A mon grand soulagement, elle était jeune et jolie. Rien à voir avec mon ex. Je la laissais parler, la questionnant pour en connaître plus sur sa personnalité. Elle ne rechignait pas à me raconter sa vie. Et me confirma qu’elle était bien à l’origine de l’annonce parue dans le journal de septembre.

« - Je voulais échapper à mon père, m’expliqua-t-elle. Il me garde sous son toit comme femme à tout faire depuis la mort de ma mère. C’est la contrepartie de la dot qu’il m’a attribuée.

- Vous êtes fille unique...

- Mes deux sœurs sont mariées, il ne reste que moi pour tout assumer. 

- Vous repassez votre annonce en boucle ? Aucun prétendant n’a répondu à vos annonces ?

- Il y en a eu mais aucun ne convenait à mon père.

- Je ne comprends pas

- Mon père les soumettait à un interrogatoire bien serré. Il voulait être sûr de faire le bon choix pour moi.

- Et que disaient les prétendants ?

- Ils n’appréciaient pas. Mon père allait très loin dans ses questions parfois indiscrètes et même salaces. Il répétait ce scénario quatre ou cinq fois voire plus, si cela était nécessaire.

- Que faisait votre père dans la vie ?

- Colonel dans la marine. »

Le père choisissait pour sa fille, estimant qu’elle n’y connaissait pas grand-chose en homme. La jeune femme laissa tomber l’affaire pendant quelques mois. Puis, elle se remit en chasse, et ce fut moi la proie. Personne ne s’était présenté. Sans doute que les anciens prétendants s’étaient passés le mot.

La curiosité me poussa à rencontrer le colonel. Je répondais du mieux que je pouvais à ses questions. Il testait ma sincérité, mon honorabilité. Ça ressemblait beaucoup à un interrogatoire de police. Puis un jour, le vieil homme m’accorda l’autorisation de rencontrer sa fille, uniquement en journée, pour lui faire ma cour.

Je continuais à travailler et consacrais tous mon temps libre à cette belle jeune femme. De temps en temps son père se joignait à nous et poursuivait son questionnement. Un jour, j’en eu assez de son manège et je repris la main pour en savoir un plus sur sa personnalité et sa manie des interrogatoires. Hélas, chassez le naturel et il revient au galop. Il a repris son flot de questions : combien de baisers échangez-vous durant la promenade ? Combien de fois et de temps, vous masturbez-vous lorsque vous êtes seul le soir ? Qui sont vos parents ? Vous ont-ils donné suffisamment d’affection? Où habitaient-ils ? Etc, etc. Bref, toutes sortes de questions sur ma vie, mon métier, mes lectures, mes connaissances du moment, éventuellement de spectacle. Et je me prêtais au jeu.

Plus, je regardais sa fille, et plus je voyais le père et vice-versa. Ils étaient tous les deux très touchants et complices. Et, s’ils faisaient mine de se fâcher devant moi, c’était pour tester mes réactions, car elle était présente à tous ces entretiens. Si je voulais épouser la fille, il fallait s’entendre avec le père. Une complicité entre les deux était évidente, qui ne pouvait être détruite.

Allais-je me lasser de toutes ces questions ? Comptait-il m’en poser d’autres ? Quel était le but de ce jeu ? Quand cela s’arrêterait-il ? Ma patience avait des limites. Quant à sa fille, elle devenait de plus en plus belle, jour après jour. Je la désirais plus que tout. Heureusement, les balades que nous faisions ensemble, nous permettaient de nous rapprocher davantage. Elle avait appris à me connaître au fil des entretiens avec son père, sans piper un mot. Quand donc serait-elle à moi ? Pour la tenir, toute une nuit, entre mes bras.

J’en avais oublié la dot. Mon travail m’absorbait beaucoup, me permettait d’oublier un instant cette relation. Je me fis donc un petit pécule au bout de six mois de travail intensif. Cela faisait plus de six mois que nous nous fréquentions. Que nous nous retrouvions les dimanches ou quelques heures durant en semaine.

Puis, tout se décida très vite. Près d’un an avait passé, le mariage fut prononcé. Il fut merveilleux, inoubliable. Je fus le plus heureux des hommes, et elle, une épouse formidable. Nous eûmes deux enfants,pour le plus grand bonheur du colonel. Mais un jour, en ouvrant le journal à la rubrique des petites annonces, je vis « Jeune femme avec dot de dix millions de francs cherche un millionnaire pour construire une belle histoire ».

Sylvie PERLOT

28 avril 2021

 

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