Comme tous les jours, Isolde sonna les matines. Laudes étaient déjà passées depuis longtemps et une grande journée de travail les attendait, au couvent. Les nonnes arrivèrent une à une, glissant sur leurs sandales de corde et rendirent les actions de grâce. Commença ensuite le défilé des fermiers venus aux ordres pour s’occuper des pâtures, des bêtes et des champs. Les enfants qui les accompagnaient avaient très vite rejoint la Grande Halle où ronflerait bientôt le poêle qui réchaufferait les petites mains malhabiles serrant les porte-plume. Et comme chaque matin, Isolde était étreinte par une profonde tristesse que quatre années de vie conventuelle n’avaient pas endiguée.

Elle n’avait que 16 ans lorsque sa mère, chocolatière de son état à Noisiel et veuve depuis de longues années, avait été brutalement emportée un jour d’hiver par les eaux en furie de la Marne. Jamais son corps n’avait été retrouvé.

Dès lors, Isolde avait regardé chaque jour le ciel, le cœur vide, l’âme en déshérence. Combien elle aurait aimé, elle aussi, avoir un destin analogue à celui des autres femmes de Torcy : épouser un promis tendrement aimé et lui donner de beaux enfants. Un bonheur tout simple qu’elle ne connaîtrait jamais.

Après laudes, elle se rendit à la lingerie où elle prit une lourde corbeille qu’elle cala contre sa hanche puis elle se dirigea vers le lavoir. Là, les doigts dans l’eau gelée, elle allait devoir rendre au linge leur blancheur immaculée. Une tâche éreintante. Mais qui la laissait toute à ses rêves. Absorbée dans ses pensées , elle ne vit pas arriver, venue du mur humide, une grenouille. La jeune fille sursauta d’abord puis regarda la petite visiteuse. C’est alors qu’elle vit, attaché à son cou, un anneau d’or. Elle approcha précautionneusement la main vers l’animal qui ne bougea pas et même sembla tendre vers elle sa petite tête plate de batracien. Elle saisit délicatement la petite bague qu’elle reconnut aussitôt : c’était l’alliance de sa mère !

Elle comprit à ce signe que sa vie allait reprendre les belles couleurs de la vie. Elle passa l’anneau à son doigt.

Alors son cœur fut gonflé d’espoir et de joie; le poids de sa peine s’allégea aussitôt.

Irène Gahéry

Isolde et l'anneau d'or

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