Les justes étaient des traîtres par Irène Gahéry

Voilà un démenti bien mérité aux vertueuses et moralisatrices fables de notre bon La Fontaine !

Commençons par la fourmi. La parfaite ménagère, prévoyante, qui a stocké ses bocaux et ses pots de confiture pour la saison mauvaise. Donneuse de leçons, pingre jusqu’à laisser mourir de faim une artiste ! « Eh bien dansez maintenant ! » Quelle sombre ironie, quel mépris de mauvais aloi… Elle eût bien mérité d’être traînés en justice pour racisme social et non-assistance à personne en danger !

Et le corbeau ! Pauvre victime qui baye toujours aux corneilles sur son arbre perché. Ce qui est un comble, d’ailleurs, de bayer aux corneilles quand on est un corbeau. Lui, l’oiseau de mauvais augure qui désigne discrètement à la grande faucheuse sa prochaine victime. Un suppôt de Satan, traître lui aussi.

Et sans parler de la tortue, avec son train de sénateur et sa vertu de bonne chrétienne qui ne s’éloigne jamais du droit chemin. Ah celle-là ! on n’ose imaginer ce qu’elle eût pu faire dans les temps sombres de l’Occupation ou du Confinement… Dénoncer son prochain, l’accuser de déviance, de non soumission au couvre-feu et autres restrictions ou interdits.

Quant à l’agneau, avec ses mensonges éhontés à dormir debout ! un vrai mythomane, celui-là ! Qui se serait douté que cet animal, blanc comme neige ou presque, un regard doux à lui donner le bon Dieu sans confession, était en réalité un nain dont la croissance avait été stoppée net à la suite d’on ne sait quel châtiment  divin. « Je tête encore ma mère » ? Un menteur en diable ! vrai provocateur !

Et ne parlons pas de la jolie et fraîche Perrette, à deux doigts de balancer son porc de mari. D’ailleurs, « légère et court-vêtue », ainsi troussée, n’allait-elle pas courir le guilledou ? Et qui sait en quelles  folles  dépenses cette coquette  eût  dilapidé son argent ? Pendant que son brave époux devant Dieu trimait aux champs,  suant comme un bœuf !

Ah ! Monsieur de La Fontaine. Vos « Justes  » qui jouent  les victimes,  qui font des numéros de Calimero pour mieux nous donner des leçons de morale… tous des traîtres !

Irène Gahéry