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Val en poésie
1 mars 2021

André du Bouchet : le baladin de l'espace par Mireille Héros

andredubouchetTM12       André du Bouchet arton78

 

 

Le baladin de l’espace

 

« Chaque poème est une écorce arrachée qui met les sens à vif. Le poème a rompu cette taie, ce mur, qui atrophie les sens. On peut alors saisir un instant la terre, la réalité. Puis la plaie vive se cicatrise. Tout redevient sourd, aveugle, muet. »

                                                                     André du Bouchet, Cahier de 1951.

« Je n’ai jamais été à la recherche d’un poème à écrire. J’avais toujours un carnet en poche sur lequel les choses, sans que j’aille les chercher, venaient toujours à moi ». André du Bouchet écrivait en marchant car « les mots ne sont pas statiques» affirmait-t-il. Pour lui, la poésie n’était pas un art de vie c’était la vie même. Quand il partait marcher de nuit dans la lande, carnet en main, sa fille Paule, enfant, le suivait : elle avait peur qu’il se transforme en loup. Que cherchait-t-il à dévorer ? Le vide. Le vide entre les mots et les choses, entre le passé et l’avenir.

Expurgées de majuscules, de points, de vers, de rimes, de prose, d’aphorismes, ses phrases étaient constituées de jets de mots plus ou moins longs entourées de blanc. Et c’est bien là, la caractéristique de sa poésie : « Le blanc dans la page aide à entendre, à parler, à s’éveiller ». Phrases qui souvent se terminent par un tiret comme un trait d’union.

 

"Agrandi jusqu'au blanc
 
l'époque
le morceau de terre
où je glisse
 
 comme rayonnant de froid
 dans le jour cahotant. "

André du Bouchet polissait sans cesse ses recueils et exigeait un parfait respect de ses mises en page. Il peignait avec ses mots à l’instar du peintre avec ses pinceaux. D’ailleurs, les peintres comme Giacometti ou Tal Coat, dont il était très proches, influenceront son écriture.

André du Bouchet dont on célébrera le vingtième anniversaire de sa mort en avril 2021, est à la fois l’un des premiers poètes français de l’après-guerre, un grand traducteur et un critique d’art reconnu.

 

L’abstraction poétique

Avec Yves Bonnefoy, Philippe Jaccotet1, Jacques Dupin et Lorand Gaspard, André du Bouchet initie un nouveau courant poétique sans pour autant vouloir faire école. Objectif : s’affranchir de l’écriture surréaliste, dont ils sont pourtant les enfants, elle laisse trop de place à l’imaginaire, et en finir avec la poésie résistante. Auprès des peintres et sculpteurs comme Giacometti ou Tal Coat, il prend des leçons de dépouillement pour acquérir le sens de l’abstraction lyrique. Son écriture, tout comme celle de ses contemporains, va se caractériser par sa frugalité à l’image des sculptures de Giacometti.

Sa poésie exigeante, réfractaire à tout embrigadement, s’inscrit dans le sillage de Stéphane Mallarmé et voisine avec celle de Pierre Reverdy ou René Char; elle ouvre sur un paysage dans lequel erre l’homme, hiératique et pourtant central.

 

un poème — qu’est-ce — rien

et pourtant le monde était là

comme le vent dans les tiges

le monde est là — comme le

vent dans les tiges

et aux confins bleus du monde

 

Il est le cofondateur en 1967 avec Yves Bonnefoy et Jacques Dupin de la revue L'Éphémère, qui ouvre ses colonnes à des poètes comme Paul Celan, Philippe Denis, Jean Daive, Alain Suied, Philippe Jaccottet, Alain

Veinstein, ou des prosateurs comme Michel Leiris, Louis-René des Forêts et Pascal Quignard.

 

Biographie express

André du Bouchet, naît en France d'un père américain d'origine française, né en Russie, et d'une mère d'origine russe juive. Il passe son enfance en France jusqu’à la proclamation des lois de Vichy, qui interdisent à sa mère d’exercer sa profession de médecin dans un hôpital public.

Avec sa mère et sa sœur, il fait le trajet à pied de la région parisienne jusqu'à Pau, avec pour seul livre de lecture, son dictionnaire de grec Bailly. Depuis Lisbonne, ils embarquent sur le dernier paquebot à destination des Etats Unis où il poursuit des études. Diplômé de l’Université Harvard, il devient professeur d’anglais. Il rentre en France en août 1948 et publie ses premiers textes critiques en français sur Hugo, Reverdy, Char, Ponge, Pasternak, Baudelaire ou Shakespeare,

Ses premiers écrits poétiques paraissent dans les années 50 sous forme de plaquettes et seront réunies, plus tard, dans le recueil « Dans la chaleur vacante » (Mercure de France, 1961, prix de la critique ; réédité en 1991 dans la collection Poésie de Gallimard).

Parallèlement à son travail poétique, André du Bouchet écrit des livres de critiques d’art, sur les peintres Poussin, Seghers ou ses contemporains et amis Alberto Giacometti, Bram van Velde et Pierre Tal Coat. Ceux-ci illustreront bon nombre de ses livres. Il signe de nombreuses traductions comme celles de Hölderlin, Mandelstam, Faulkner, Joyce, Celan et Shakespeare.

 

André du Bouchet obtient le Grand prix national de la poésie pour l'ensemble de son œuvre en 1983. Installé pour une partie de l'année à Truinas dans la Drôme depuis les années 1970, André du Bouchet y décède le 19 avril 2001. À la question posée en 1995 par une journaliste (qui reprenait un propos de Hölderlin) « Pourquoi des poètes en temps de détresse ? », il répondait : « Tous les temps sont des temps de détresse, il y a quelquefois des poètes ».

 

Mireille HEROS - 26 février 2021

 

 

Bibliographie

Libération : André du Bouchet – lueurs du loup – Philippe Lançon – 28 avril 2011

http://auteurs.arald.org et http://www.lariviereechappee.net

Babelio

Universalis

Association « le savoir partagé »

Le printemps des poètes

http://www.espritsnomades.com – André du Bouchet une poésie aux aguets de l’immobile

 

 

 

Quelques poèmes

Dans la chaleur vacante

- Extinction

Le noeud du souffle qui rejoint,

plus haut, l'air lié,

et perdu.

Ce lit dispersé avec le torrent,

plus haut, par ce

souffle.

Pour nous rêver torrent, ou inviter le froid, à travers

tout lieu habité.

De la montagne, ce souffle, peut-être, au début du jour.

L'air perdu m'éblouit, se fermant sur mon pas. 

 

- Loin du souffle 

M'étant heurté, sans l'avoir reconnu, à l'air,

je sais, maintenant, descendre vers le jour.

Comme une voix, qui, sur ses lèvres même,

assécherait l'éclat.

Les tenailles de cette étendue,

perdue pour nous,

mais jusqu 'ici.

 

J'accède à ce sol qui ne parvient pas à notre

bouche, le sol qui étreint la rosée.

Ce que je foule ne se déplace pas,

l'étendue grandit. 

 

- Cession

Le vent,

dans les terres sans eau de l'été, nous

quitte sur une lame,

ce qui subsiste du ciel.

En plusieurs fractures, la terre se précise. La terre

demeure stable dans le souffle qui nous

dénude.

Ici, dans le monde immobile et bleu, j'ai presque atteint

ce mur.  Le fond du jour est encore devant nous.  Le

fond embrasé de la terre. Le fond et la surface du front,

aplani par le même souffle,

ce froid.

Je me recompose au pied de  la façade comme  l'air

bleu au pied des labours.

Rien ne désaltère mon pas.

 

 1Poète suisse, Philippe Jacottet est décédé le 24 février 2021 à l’âge de 95 ans. Prix Goncourt de la poésie en 2003, il est entré dans la Pléïade en 2014.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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