La ballerine par Mireille Héros
Juste avant le début d’une cérémonie qui se voulait éclatante, une averse de neige s’abattit sur la cinquième avenue de New-York. La foule massée le long des barrières ne bouge pas pour autant. La police en escadron ouvre la voie à un cortège funèbre. Sur le cercueil blanc, deux chaussons de satin rose. Ceux de la grande Isadora, danseuse étoile au New York City Ballet. Une danseuse au destin incroyable.
Tout commence sur la plage de son enfance, Ocean Beach à San Francisco. Les vagues fascinent la jeune Isadora. Elle ressent un besoin impérieux de se fondre dans leur mouvement et se met à danser pieds nus sur le sable. Elle offre son corps d’adolescente au soleil, au vent, à l’azur. Elle rentre chez elle et déclare du haut de ses quinze ans ans, je serai danseuse. Étonnement de sa mère pianiste de ce soudain intérêt. Elle qui vivote de ses leçons de piano, l’inscrit néanmoins dans un cours de danse classique. Isadora se révèle être un véritable prodige. Très vite elle est prise dans le tourbillon du succès mais elle se sent prisonnière des codes de la danse classique. Sans cesse reviennent les mouvements de l’océan. Elle en ressent une vive émotion comme un vertige. Elle ne supporte plus le carcan des chaussons, des tutus, des diadèmes. Elle veut avoir sa liberté de danser.
Alors, un soir dans la noirceur du crépuscule, elle part danser une dernière fois sur la plage de San Francisco, nue. Elle se sent libérée d’un fardeau. Son corps se plie aux exigences du ressac de l’eau. L’écume l’enveloppe d’un voile. C’est décidé, elle prendra davantage de libertés avec son art.
Pour l’heure, le convoi s’ébranle. La foule jette des fleurs sur son passage, envoie des baisers au cercueil, serre jalousement sur son cœur la photo de la danseuse. Seule, Isadora accompagne au panthéon des danseuses classiques ses chaussons de satin rose et ouvre ses bras à la danse moderne.
Mireille HEROS
Le 29 avril 2021